Logan (2017)
Logan
De James Mangold (2017)
Epilogue de la trilogie superhéroïque centrée sur le célèbre mutant Wolverine et dernier film de l’illustre Hugh Jackman dans le rôle éponyme après dix-sept ans et neuf films à son actif, Logan surprend par ses partis-pris aux antipodes du standard calibré des blockbusters de ce genre depuis quelques années.
Les superhéros défilent à un rythme effréné dans nos salles de cinéma depuis plus d’une quinzaine d’années à présent et connaissent des fortunes diverses aussi bien sur le plan financier que qualitatif. D’un côté nous avons la firme Warner Bros en partenariat avec DC Comics ou la Distinguée Concurrence qui nous a gratifié de quelques très bonnes oeuvres ( la trilogie The Dark Knight de Christopher Nolan par exemple) mais aussi de véritables catastrophes industriels ( Suicide Squad de David Ayer en est la dernière en date). Avec leurs films urbains, sombres et sérieux DC , parti un poil trop tard, peine à refaire son retard sur l’empire qu’est devenu Marvel Studios en partenariat avec Disney avec son univers interconnecté reliant films à grands succès, séries télés, web-séries, courts-métrages et même comics. Une véritable manne financière qui a malheureusement un peu tendance à sacrifier l’identité potentielle de chaque oeuvre au profit de la cohérence globale de l’univers et du fan-service ; cependant il est bon de rappeler que la Maison des Idées ( surnom de la firme) a tout de même accouché de quelques produits très réussis comme Iron Man (2008) de Jon Favreau, Les Gardiens de la Galaxie (2014) de James Gunn ou la série Daredevil diffusée depuis 2015 sur Netflix.
Entre ces deux mastodontes du genre superhéroïque se trouve la 20th Century Fox qui détient les droits de la saga X-Men ( qui appartiennent dans les comics à l’univers Marvel mais pas sur les écrans à cause de soucis de droits un peu comme l’était Spider Man avec Sony jusqu’à l’accord avec Marvel Studios… oui c’est un peu compliqué ). Lancée au tout début du siècle avant tous ces univers connectés Dc et Marvel , la saga X-Men est devenue culte avec des films de haute-volée mais aussi quelques ratés à commencer par le premier spin-off portant sur l’un des personnages emblématiques de cet univers: X-Men Origins: Wolverine (2009). Mais ces derniers temps la Fox a compris que pour pouvoir exister sur ce marché presque saturé des adaptations de comics il fallait se démarquer en tentant des choses nouvelles, inédites pour le public: cela avait été le cas en 2016 avec Deadpool de Tim Miller qui n’hésitait pas à casser les codes, briser le quatrième mur et presque parodier un monde vu et revu à travers un personnage transgressif à outrance, très original et faisant preuve d’une violence extrême complètement décomplexée ; de ce cocktail résulte un film inégal et qui tombe parfois dans l’excès inutile mais qui ne laisse pas indifférent. Logan suit la même démarche dans sa volonté d’affranchissement des dogmes en empruntant un chemin bien différent mais pas moins osé. Et c’est un pari réussi.
Si Logan est considéré comme un film de superhéros on a parfois bien du mal à s’en rendre compte tant Mangold , de retour à la réalisation après le correct Wolverine: Le Combat de l’Immortel (2013) nous donne à voir une oeuvre qui n’a rien à voir avec ce qu’on s’attend à voir pour une oeuvre de ce genre. En réalité on se rapproche plus d’un hybride de road-movie et de western brutal et réaliste dans lequel se serait égaré un héros griffu qui n’a vraiment plus rien de “super”.
L’histoire prend place dans un futur proche loin d’être idéal mais qui ne tombe pas dans le genre post-apocalyptique où la quasi-totalité des mutants ont disparu ce qui marque déjà une rupture importante avec le reste de la saga X-Men. On y retrouve un Wolverine désabusé, cynique, et plus aigri que jamais qui vit reclus près de la frontière américano-mexicaine avec son ancien mentor Charles Xavier qui a bien perdu de sa superbe, et le mutant albinos Caliban. Mais ce quotidien bien peu enviable mais au moins tranquille se verra bousculé quand la jeune Laura Kinney , jeune mutante aux pouvoirs similaires à ceux de Logan, débarque dans leur vie, poursuivie par de dangereux individus décidés à la capturer coûte que coûte. Xavier convainc alors Wolverine de conduire la jeune fille vers le Nord pour l’aider à fuir. S’ensuivra un périple sur les routes de cette Amérique déclinante qui se révèlera aussi émouvant que brutal.
L’argument principal du film est la charge émotionnelle qu’il dégage : un atout important au regard du schéma redondant “Héros orphelin / Belle dame à sauver” des films du genre. Dernier film centré sur Wolverine ( du moins avec Hugh Jackman) , ce Logan est un splendide hommage et adieu au personnage qui prend la forme d’une fresque transgénérationnelle de passage de relais entre le trio de personnages principaux: le vieillissant Professeur Xavier , Logan et la jeune Laura. Logan et Xavier, anciens symboles des resplendissants X-Men, semblent à bout de souffle, en fin de parcours et on assiste là à leurs derniers faits d’armes; ils sont tous deux au bord du gouffre : Charles Xavier voit les affres de la vieillesse le gagner tandis que Logan perd peu à peu son pouvoir de régénération tandis que l’ossature métallique qui faisait sa force l’empoisonne lentement de l’intérieur ; leurs pouvoirs les abandonnent : la capacité intellectuelle du Professeur X ou l'invulnérabilité de Wolverine ne sont presque plus. Les superhéros sont descendus de leur piédestal céleste et sont devenus des hommes. Ces “héros” ne sont donc plus idéalisés et s’ils suscitent l’empathie du spectateur , ce dernier aura bien du mal à vouloir se projeter dans ces personnages. Le film se penche ainsi davantage sur l’homme que sur le symbole du héros ; tout est indiqué dans le titre : Logan et non Wolverine.
Mais si l’émotion prévaut il ne faut pas oublier qu’une place de choix est reservée aux scènes d’action qui sont là aussi bien différentes des standards habituels. Tout d’abord elles sont renforcées dans leur fond par l’impact émotionnel du film comme vu ci-dessus et elles surprennent aussi par leur forme sans concession. Fort du succès de Deadpool , la FOX a donné son feu vert pour que Logan soit lui aussi un film classé R ( non tout-public ; interdit aux plus jeunes). Toutefois la violence parfois extrême n’a rien à voir avec celle du film de Tim Miller, elle va même plus loin dans la mesure où elle n’est pas atténuée ou dédramatisée par un second voire un troisième degré parodique ; au contraire elle est brutale et terre-à-terre et chaque coup est traité avec la gravité qu’il mérite. Là où je reprochais à Deadpool de banaliser voire de rendre fun la violence ; ici je ne peux que saluer la démarche honnête de Mangold. Les personnages n’ont ni le temps ni le coeur de placer des blagues entre deux échanges de coups comme le font les Avengers. On ne rit pas durant ces combats mais on reste scotché à son siège devant ce spectacle soigneusement chorégraphié et d’une brutalité où même la dimension épique a disparu. Le film suit un postulat simple mais souvent bafoué par le cinéma : la violence fait mal. Cela pourrait paraître évident mais bien souvent l’horreur de la guerre est écartée au profit du souffle épique ou de l’humour ; pas dans Logan où aucun des spectateurs n’aura envie de se retrouver dans le feu de l’action. Notons aussi que la meilleur scène d’affrontement du film est paradoxalement celle où il n’y a pas vraiment affrontement ; quand Xavier attaqué suspend le temps et que Logan puise dans ces dernières ressources pour avancer et abattre les ennemis immobiles qui menacent le vieil homme ; entre les efforts inhumains de Wolverine ou la mise en situation ingénieuse nous avons là un grand moment de cinéma d’action sans affrontements directs.
La photographie travaillée sur des teintes de jaune-orangé avec soin et la bande son oppressante renforce cette idée de crépuscule , de chute des héros. Quelques sublimes plans contemplatifs durant le voyage des personnages ajoutent encore quelques doses de mélancolie durant le récit. Une version retravaillée en noir et blanc est même proposée dans le Blu Ray du film et selon les premiers retours elle apporte vraiment quelque chose de fort au film. Les effets spéciaux sont discrets et ne prennent jamais le pas sur cette atmosphère réaliste malgré le fait que le récit se place dans un futur qui ne se manifeste finalement que par petites touches ça et là sans vraiment influer sur une trame qui finalement aurait très bien pu se passer à n’importe quelle époque. Le travail d’écriture est aussi remarquable , tous les dialogues se justifient et aucun ne sonnent creux ; certaines scènes parmi les plus puissantes en sont d’ailleurs quasiment dénués et tout passe par le jeu des acteurs presque tous remarquables. Pour sa dernière Hugh Jackman (X-men, Le Prestige) magnétise le public et ne fait plus qu’un avec Wolverine ; Jackman est Logan et c’en est presque troublant , rarement la frontière entre acteur et personnage n’aura semblé aussi ténue tant l’australien habite le mutant. Il dit adieu à son rôle de la plus belle des manière sans même avoir besoin d’une grande fin épique comme on s’y attendait mais plutôt une conclusion intimiste et brutale. Patrick Stewart (Dune, Star Strek) interprète lui aussi son personnage emblématique pour la dernière fois et il surprend avec ce Charles Xavier malade et presque fou qui détonne avec le sage leader des films précédents , il a su se réinventer pour offrir lui aussi un magnifique épilogue au Professeur. La toute jeune Daphné Keen (The Refugees) est la révélation du film , exister à l’écran entre ces deux légendes de la saga qui cristallisent toutes les attentions n’était pas gagné d’avance et pourtant elle fait preuve d’une maturité déconcertante pour se tailler une part du gâteau. Nous avons là une enfant dans un film d’adultes et la comédienne l’a si bien compris qu’on oublie vite son âge tant son jeu n’a rien à envier à celui des ses aînés. Une actrice à suivre donc. Derrière ce trio flamboyant les rôles secondaires ont un peu plus de peine à se démarquer et si Stephen Merchant (The Office) incarne un Caliban convaincant et brave , les méchants peinent quant à eux convaincre : Boyd Holdbrook (Narcos, Gone Girl)en fait un peu trop et Richard Grant (Gosford Park) est même transparent même s’ils ne sont pas aidés aussi par le traitement réservé à leur personnage, le film se basant essentiellement sur le trio principal , les méchants deviennent alors une menace floue et finalement peu intéressante à analyser ; c’est un point que l’on peut regretter. Peut-être qu’avec des antagonistes plus travaillés Logan aurait pu être parfait. Mention spéciale aux interprètes de la famille Munson chez qui nos héros font une halte qui offre au public l’une des rares scènes de calme, de tranquillité et de partage du film.
Constante des films superhéroïques ces dernières années l’humour n’est pas complètement abandonné malgré les apparences. Utilisé avec parcimonie il ponctue le parcours des héros sans jamais prendre le dessus ou sembler déplacé. Oubliez les plaisanteries douteuses pour faire descendre la tension aux moments critiques et souhaitez la bienvenue à un humour plus authentique , cohérent ; tous ces moments où les personnages , humains comme nous, se permettent de rire et de sourire.
Le film n’est pas parfait loin de là ; il y a quelques longueurs et le traitement des méchants est insuffisant . Des questions politiques et sociales sont aussi esquissés mais sont trop peu approfondies pour soulever de réels enjeux ( exploitation agricole, création de mutants en laboratoire, esclavage militaire etc.) Mais on a envie de tout pardonner à ce film dont la proposition et si osée et maîtrisée que l’on ne peut que saluer l’audace du réalisateur qui a enfin pu et su proposer une vraie oeuvre de cinéma se suffisant à elle même ( pas la peine d’avoir vu toute la saga pour voir le film ) mais aussi un hommage aussi émouvant que puissant au mythique personnage de Hugh Logan.
Le mot de la fin:
Film avec des héros plutôt que film de héros, Logan ose emprunter un chemin reposant sur l’authenticité, le réalisme brutal et l’émotion. En sort une oeuvre intimiste aux airs de film d’auteur portée par d’excellents acteurs principaux qui se détache de tout ce qui a été fait dans le genre. Plus qu’un bon film Logan est une oeuvre singulière et marginale qui ne vous laissera pas de marbre et a tout pour devenir culte.
Ma Note: 19/20
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 8 autres membres