Séries TV
Quoi de mieux qu'une bonne série pour passer les froides soirées d'hiver?
Sherlock (BBC)
Sherlock (BBC)
Mark Gatiss et Steven Moffat
(2010-2017)
Oups...
Ces derniers temps Sherlock Holmes à la côte avec une ribambelle d'adaptations plus ou moins fidèles pour le petit ou le grand écran. Le mythique détective à casquette crée par Arthur Conan Doyle se retrouve ainsi dépoussiéré depuis quelques années pour que le grand public le redécouvre et cela donne lieu à des relectures plus ou moins réussis comme les films à testostérones de Guy Ritchie avec Robert Downey Jr ( Chaplin, Iron Man) dans le rôle titre ou la série Elementary qui propose une version américaine du génial enquêteur. Mais celle qui a sûrement fait le plus parler d'elle est sans doute la série sobrement intitulée Sherlock diffusée sur la BBC. Les showrunners de la série Mark Gatiss et Steven Moffat transportent le détective et ses affaires à l'époque actuelle tout en préservant toute la
saveur de l’œuvre d'origine: un véritable coup de maître.
Le leitmotiv de Sherlock pourrait être celui-ci: la qualité plutôt que la quantité. En effet la construction de la série est bien différente de celle des canons télévisuels actuels: chaque saison ne compte ainsi que trois épisodes durant chacun environ une heure et demi. Si un fil rouge relie tous ces épisodes, ces derniers peuvent aussi être vus séparément puisqu'ils proposent chacun une enquête différente. On sent le scénario parfaitement travaillé et les scénaristes savent exactement où ils veulent aller et n'hésitent pas à distiller des détails susceptibles d'avertir le spectateur. La série propose alors une mise en abyme ingénieuse avec une sorte d'enquête dans l'enquête puisque le spectateur est lui aussi amené à regrouper des indices disséminés dans les épisodes afin d'élaborer des hypothèses sur la suite des événements ou la véritable nature de tel personnage; toutefois ces hypothèses ne seront que rarement vérifiées tant la série prend un malin plaisir à partir dans la direction opposée que ce que nous avions prévu.
Le passage à l'époque moderne n'aurait pu être qu'une facilité scénaristique mais il est finalement parfaitement exploité: la série propose une certaine mise à jour de Sherlock Holmes. Le génial détective se retrouve donc à amasser des informations sur son smartphone tandis que Watson tient un blog relatant les exploits de son compère ( dans l’œuvre d'origine il s'agit d'un journal). Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres mais le fait de découvrir nos histoire préférées de Conan Doyle qui ont bercé notre enfance dans un contexte contemporain est aussi surprenant que savoureux: l'épisode 2 de la saison 2 portant sur l'affaire du Chien des Baskerville ( sûrement le récit le plus connu sur Sherlock Holmes) en est le porte-étendard.
Mais malgré ce changement d'époque l'adaptation se révèle extrêmement fidèle avec la présence des points de repères et des personnages emblématiques : Holmes, bien entendu, et Watson au 221b Baker Street, l'inspecteur Lestrade, Moriarty, Londres ou Irene Adler. L'atmosphère so british, caractéristique des œuvres de Doyle, est parfaitement retranscrite et le fait que la série soit une production britannique n'y est pas étranger. Que ce soit à travers les rues de Londres ( la capitale est presque un personnage à part entière) ou dans la campagne anglaise , tout est présenté avec un pittoresque bienvenu. Sherlock Holmes appartient à Londres et Londres appartient à Sherlock Holmes , il y est dans son élément avec des repères précis et une forme de mode de vie qu'il connaît sur le bout de doigt. Au fil des saisons le spectateur se fait lui aussi happé par al cité et les allées de Londres commencent à lui être familières tout en devenant dans son esprit inhérentes à la série. Les créateurs du show finissent par l'admettre explicitement quand au début de la saison 4 Sherlock, parti à l'étranger, désire rentrer au plus vite sur le bord de la Tamise pour y résoudre l'affaire; comme s'il était incapable d'user de ses formidables capacités dans un autre lieu. L'humour anglais pince-sans-rire savamment distillé fait des ravages et achève d'ancrer l’œuvre dans un cadre définitivement britannique: nous avons là une série anglaise , faite par des anglais et avec des anglais mais pas que pour des anglais.
Si la série est aussi réussie c'est aussi grâce à ses personnages aussi brillamment écrits qu'interprétés à commencer bien sûr par le duo principal: Holmes et Watson. On retrouve un Sherlock plutôt fidèle au livre malgré quelques différences: jeune, asocial, génie intellectuel, hautain et quelque peu enfantin dans sa manière de voir toute enquête comme un jeu; en face de lui il y a le Dr Watson: ancien militaire, blessé de guerre, pas forcément génial mais toujours pertinent, impressionné par le détective, le cœur sur la main et plutôt émotif. La série s'ouvre sur leur rencontre et l'évolution de leur relation est l'un des thèmes centraux de la série: ces deux hommes qu'en apparence tout oppose vont apprendre à se connaître, commencer à s'apprécier et à résoudre leurs problèmes ensemble. L'alchimie est parfaite et on a parfois le sentiment que les deux personnages ne forment en réalité qu'une seule entité tant ils sont complémentaires entre le Cerveau et le Coeur , l'Esprit et les Sentiments. Il est d'ailleurs intéressant que ce n'est qu'après la mort ( supposée) de Sherlock que Watson, laissé seul, éprouve le besoin de se marier pour trouver une autre moitié de lui-même et la jalousie à peine feinte qu'éprouve Holmes à son retour ne fait que confirmer cette interprétation. Les deux acteurs donnent vie à ces personnages mythiques avec virtuosité: peu connus il y a quelques années , Sherlock leur a permis d'étaler leur talent au yeux du monde pour devenir de véritables stars aujourd'hui. Martin Freeman (Le Hobbit, The Office) est toujours dans le bon ton en Watson, il parvient à nous faire rire, ou pleurer dans ce rôle de cet homme valeureux mais au final plutôt commun qui côtoie le plus grand esprit de sa génération. Benedict Cumberbatch ( Imitation Game, Dr Strange) est quant à lui merveilleux avec un Sherlock excentrique, à l'humour particulier et qui croit tout savoir mais qui a tant à apprendre; son jeu n'est jamais sobre et toujours dans une forme de décalage par rapport aux autres comédiens qui l'entoure ce qui renforce parfaitement le fossé qui sépare son personnage de la société.
Le casting principal
Autour des deux rôles principaux gravitent plusieurs personnages dont le traitement n'est réalisé qu'à travers leur relation à Sherlock ou Watson; ces personnages ne sont pas développés pour eux-même mais toujours par rapport au duo du 221b Baker Street , c'est parfois frustrant comme pour le personnage de Molly dont la relation avec Sherlock est captivante mais jamais traitée à partir du point de vue de la jeune femme. Mais c'est un choix de narration cohérent et les scénaristes s'y tiennent. Nous retrouvons donc comme personnage récurrents le grand frère du détective Mycroft Holme interprété par un Mark Gatiss absolument génial dans ce rôle de fonctionnaire cynique et encore plus intelligent et désagréable que son cadet , un Moriarty joué par un Andrew Scott en roue libre qui est la némésis de notre héros et l'un des seuls en mesure de le vaincre sur son propre terrain, Mrs Hudson en gentille propriétaire retraitée, l'inspecteur Lestrade qui est ici l'archétype du policier volontaire mais complètement dépassé, Mary Watson qui prendra une grande importance à la fin de la série. Rajoutons à cela des personnages n'apparaissant que ponctuellement mais mémorable comme l'intrigante Irene Adler (Lara Pulver magnétique) ou la glaçante Eurus Holmes, l'autre enfant Holmes, qui représente la plus grande menace que ses frères n'aient jamais eu à affronter.
La mise en scène est inventive à souhait et propose quelque chose de vraiment neuf et rafraîchissant par rapport à la réalisation aseptisée de beaucoup de séries actuelles. Sherlock prend un malin plaisir à jouer avec nos perceptions, à montrer ce que nous devrions normalement pas voir et à nous cacher ce que nous nous attendions à voir. Plusieurs fois les réalisateurs donnent forme à des éléments qui n'existent même pas, qui appartiennent à l'imagination du détective ou simplement à une dimension symbolique. On ne sait alors plus déterminer le réel de l'imaginaire et c'est là que l'esprit de Holmes nous devient très précieux; encore une fois Sherlock propose une enquête dans l'enquête destinée à ceux qui visionnent les épisodes.
En résumé ce que la série fait de mieux c'est surprendre, les scénaristes ont donc exploité ce filon pour toujours nous prendre à contre-pied. Que ce soit par son format inhabituel, ses intrigues à tiroirs, sa réalisation virevoltante, ses personnages à la fois très caractérisés par certains code( le flic dépassé, la propriétaire, le grand méchant) mais qui arrive toujours à étonner ( Moriarty n'est clairement pas un méchant comme un autre). La force du show réside dans sa capacité à nous présenter un environnement familier où on se sent à l'aise avec des repères bien défini tout en nous surprenant constamment. Une démarche un peu paradoxale mais qui fonctionne parfaitement.
A wonderful game!
Le mot de la fin:
En se réappropriant le mythe Sherlock Holmes à l'époque moderne, Sherlock prenait un grand risque. Mais grâce à un superbe travail d'écriture et une réalisation inventive, la série apporte une vraie fraîcheur tout en ne trahissant jamais l'esprit de l’œuvre originelle. Une vraie réussite !
Ma note: 20/20 Sherlock est déjà une référence dans le monde des séries et des adaptations, et a tout pour devenir culte d'ici quelques temps.
The Man in the High Castle (2015-2017)
The Man in the High Castle
Amazon Series ( Saison 1 et 2 ; 2015-2017)
Adaptation plutôt libre du roman de Philip K.Dick, The Man in The High Castle est une uchronie glaçante qui nous plonge au coeur d’un monde où le IIIe Reich et l’empire Japonais dominent suite à la défaite des Alliés.
Dans cet univers “alternatif” Hitler a obtenu l’arme atomique avant les Etats-Unis et en a usé pour remporter la victoire. La série se déroule vingt ans après la fin de la guerre mondiale et ne nous en dit pas beaucoup plus sur les circonstances de la victoire de l’Axe. La découverte de ce monde régi par nazis et japonais se fait petit à petit au fil des épisodes et bien souvent par de simples détails du quotidien des personnages qui sont tout sauf anodins et ne manqueront pas d’interpeller le spectateur. La première force de cette série c’est surtout son univers qui est savamment construit et jouit d’une crédibilité et d’une cohérence indispensable à toute oeuvre de ce type. Cela passe par la présence de plusieurs personnages historiques (Hitler et ses ministres en premier lieu) mais aussi par une volonté de montrer réellement ce qu’aurait pu être un monde où l’Allemagne nazie aurait gagné. Ainsi on est amené à découvrir un Berlin conforme aux rêves du Führer, une politique de surveillance généralisée, un culte de la personnalité , l’euthanasie organisée et forcée des infirmes , la traque des derniers juifs rescapés etc. L’action se déroule principalement dans une Amérique du Nord scindée en trois parties distinctes : la côte Ouest ou Etats du Pacifique sous régence japonaise, la côte Est ou Reich Américain sous la houlette des nazis et la Zone Neutre au centre qui a des airs de Far West miséreux. L’ambiance est quasiment parfaite entre des costumes magnifiques, une direction artistique aux petits oignons et une musique anxiogène à souhait ; on se sent constamment oppressé comme les personnages. Il y a bien quelques incrustations numériques qui piquent les yeux mais rien d’impardonnable.
Les premiers épisodes servent à fixer le contexte et présenter les divers personnages qui , suite à un judicieux choix scénaristique, appartiennent à toutes les catégories de la société. On aurait pu craindre une banale intrigue centrée sur des Résistants luttant contre la dictature mais au final ces derniers , bien que présents et parfois importants, ne sont pas forcément les protagonistes les plus centraux ou intéressants. On retrouve d’abord les personnages emblématiques du livre, parfois représentés assez fidèlement comme le sage ministre Tagomi, Juliana Crain ou l’antiquaire véreux Robert Childan, et souvent très librement comme un Frank Frink bien moins amorphe et médiocre que dans l’oeuvre d’origine ou Joe Blake bien plus développé dans sa complexité. D’autres rôles ont été créés par les scénaristes du show et ils sont de réelles valeurs ajoutées en particulier l’Obergruppenfuhrer John Smith, un officier S.S à plusieurs facettes qui est placé au coeur du récit et pas seulement comme un antagoniste uniforme. Par contre le Yi King, ce fameux livre chinois archaïque de prédiction qui occupe une place prépondérante dans l’ouvrage est certes présent mais de manière beaucoup plus réduite.
Si la première saison , ou du moins son début , suit assez fidèlement la trame du livre ; la série finira par prendre une autre voie pour explorer de nouveaux lieux et poursuivre l'histoire assez brève du roman originel ( quelques épisodes suffisent à la couvrir intégralement). Mais ces changements ne trahissent jamais l’esprit de l’oeuvre de Dick et sont même souvent pertinents avec par exemple la très bonne idée de faire de l’écrivain Abendsen censé avoir publié un livre présentant un monde où les Alliés auraient gagné et accessoirement ce fameux “Maître du Haut Château” , un réalisateur de films qui montrent de façon incroyablement réaliste cet autre "monde" débarassé du nazisme mais pas forcément de tous ses maux à commencer par l'arme nucléaire.. Une actualisation de cet élément central de l’intrigue qui modernise le tout et surtout se révèle parfaitement adapté au format audiovisuel.
Toutefois la série peine un peu à traiter tous ses personnages de manière optimale et certains arcs narratifs se révèlent moins intéressants que d’autres même si au final les scénaristes trouvent toujours un élément capable de garder les spectateurs en haleine malgré un rythme globalement lent ( surtout lors de la saison 1). La présence plus marquée d’une rébellion loin d’être innocente et l’intensification de la guerre froide entre Allemands et Japonais accélèrent un peu les choses dans la deuxième saison qui n’hésite pas à faire bouger les lignes et à remettre en question un manichéisme apparent notamment à travers la violence terroriste des résistants ou le désir de paix d’hommes tel que Tagomi. Même l’officier nazi John Smith parvient à susciter l’empathie du spectateur.
Les protagonistes se retrouvent tous , à un moment à un autre, pris dans la grande Histoire qui se joue autour d’eux et souvent malgré eux. Il est difficile de dégager un ou deux “héros” tant les divers personnages principaux sont développés. avec la même attention. La frenchie Alexa Dalavos (Le Choc des Titans, Les Insurgés) incarne une Juliana Crain tout en nuances qui doit panser ses blessures et regrets du passé pour faire face aux épreuves qu’elle endure tandis que Rupert Evans (The Boy) et Luke Kleintank (Bones, Max) en Frank et Joe alternent le très bon et le moins bon. Joel de la Fuente(Hemlock Grove), Brennan Brown (Focus) et DJ Squalls (The New Boy) se révèlent touchants dans leurs rôles respectifs plutôt inattendus d’officier de police japonais, d’antiquaire cupide ou de simple ouvrier; tous pris dans la tempête de l’Histoire. Mais ce sont surtout Rufus Sewell (L’Illusionniste , Chevalier) en officier nazi et Cary-Hiroyuki Tagawa (Pearl Harbor) en dignitaire japonais qui s’illustrent , ils crèvent littéralement l’écran et parviennent à surprendre, émouvoir et indigner en campant des personnages loin d’être stéréotypés. Il y a notamment une scène de la saison 2 où le personnage de Sewell, parti pêcher au lac avec son fils , se retrouve tiraillé entre sa patrie et sa famille ; et sans prononcer un mot ou presque de toute la scène l’acteur nous fait ressentir tout ce qui peut se passer sous le crâne du personnage. Des figures historiques réels font également leur apparitions à commencer par des Hitler ou Heydrich à vous glacer le sang. Certains personnages secondaires seront aussi amenés à prendre de l’importance et amèneront encore plus de diversité dans les relations entre personnage avec différents résistants aux motivations différentes, des citoyens allemands du Reich etc.
La série tombe également parfois dans une science-fiction teintée de fantastique ( comme dans le livre) ; la démarche de respecter cet aspect de l'oeuvre d’origine sur ce plan est louable d’autant plus que les scénaristes auraient pu ne pas prendre ce risque en restant sur une vision très réaliste de l’univers. Cette dimension surnaturelle n’est pas forcément des plus centrales dans la série mais elle est amenée subtilement , donne lieu à quelques très belles scènes et ouvre la porte à la réflexion sur notre monde , le déroulé de l’Histoire etc.
Le mot de la fin:
The Man in The High Castle avait fort à faire en adaptant le roman culte de Dick sous format télévisé et s’en sort finalement avec brio. Si tout n’est parfait au niveau du rythme et que la série a tendance à se disperser un peu c’est au bénéfice de la découverte d’un univers uchronique aussi fascinant que troublant. Les cartes sont rebattues dans ce monde là bien différent du nôtre mais entre lesquels certains parallèles sont dessinés ( Guerre Froide, Peur de l’atome , virée de Tagomi dans ce qui ressemble à notre monde grâce à Yi-King etc.). Entre les affaires politiques, les luttes partisanes et les intérêts personnels la série construit une intrigue solide et captivante où la frontière entre Bien et Mal n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît; un parti pris audacieux quand on parle d’un monde dirigé par les nazis.
Ma Note : 18/20