Critiques & Cie

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Fatherland (1992)

Fatherland

de Robert Harris (1992)

  

 Au rang des romans uchroniques ceux portant sur une victoire de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale sont emblématiques. Le maître de la science fiction Philip K. Dick s’y était lui-même essayé avec Le Maître du Haut Château oeuvre envoûtante teintée de mysticisme et de fantastique. En cela, et malgré leurs postulats de départ quasiment identiques, Fatherland prend le contrepied dans sa démarche. Robert Harris est un journaliste et cela se ressent dans l’approche aux airs de documentaire que prend le roman ici ; quand Dick ne s'embarrassait pas tellement des explications historico-uchroniques ou de la vraisemblance ( même si l’Allemagne eut gagné la guerre il aurait été peu probable qu’elle parvienne à envahir les Etats-Unis) Harris, lui, opte pour une approche plus “réaliste” dans la mesure où ce terme peut être utilisé dans un tel contexte.  Ici le Reich maîtrise la globalité du continent européen et se retrouve engagé depuis l’armistice de 1946 dans une sorte de “Guerre Froide” avec les Etats-Unis ; en cette année 1964 cependant une période de détente semble se profiler grâce à la volonté de rapprochement du président Kennedy. Ce contexte géopolitique imaginaire passionnant ne sera pourtant pas au coeur du sujet mais servira seulement d’une toile de fond où évoluent des personnages pas forcément importants ou influents et c’est là la force de la trame : on ne nous raconte ni l’histoire d’Hitler ni celle de la Résistance ; on assiste à une enquête policière menée par un officier SS et une journaliste américaine basée à Berlin et c’est à travers leurs yeux que l’on découvre ce monde inquiétant et intrigant.  Dans son souci de précision journalistique l’auteur nous dépeint avec précision Berlin , ses environs et les autres lieux où l’histoire nous conduit comme la Suisse neutre ; il profite de chacun de ses endroits pour nous en dévoiler un peu plus des règles et enjeux de cet univers savamment construits et , très important, il nous donne l’impression d’un univers cohérent dont seulement une petite partie est visible dans le roman. Comme un iceberg dont on ne verrait que le sommet.

 

 Les personnages sont également une véritable réussite en particulier l’inspecteur Xavier March qui est aux antipodes de la figure héroïque à laquelle on aurait pu s’attendre. Tout d’abord c’est un officier S.S , cela pose la personne même si il n’est pas vraiment un fervent admirateur du nazisme il aime faire son métier de détective, et sa situation personnelle est assez peu enviable : divorcé, méprisé par son fils et surveillé par ses supérieurs pour “insoumission”; il ne peut compter que sur son collègue et ami Max Jaeger , du moins le pense-t-il.  Son enquête commence lorsqu’il découvre le corps inanimé et mutilé d’un haut dignitaire nazi dans un lac aux abord de la capitale ; au fil de l’enquête il se rendra compte qu’il ne s’agit pas d’un simple meurtre mais bien d’une conspiration contre laquelle il lui sera difficile de s’interposer.  Il sera aidé par la journaliste américaine Charlotte Maguire dont il acquiert la confiance puis l’amour , un personnage féminin pétillant et loin du stéréotype qui est une réelle valeur ajoutée au récit tant l’alchimie avec March fonctionne.

 

 Autour de ce duo gravitent divers autres personnages plus ou moins dignes de confiance comme Jaeger, le cadet Jost ou l’américain Nightingale mais aussi et surtout des dignitaires nazis ayant vraiment existé comme le violent Globocnick et l’intrigant Nebe et qui sont ici les rappels que nul ne peut s’opposer aux plans du Reich dans ce monde.

 

 L’intrigue débouche sur une révélation que tout lecteur connaît sûrement depuis des années à la différence des personnages stupéfaits de cette uchronie mais cela est si bien amené que l’on n’est pas déçu et quand bien même ce serait  le cas  le final palpitant vous tiendra assurément en haleine jusqu’au bout.

 

 Développer une telle uchronie en prenant le parti d’un détective allemand est un pari osé mais judicieux dans la mesure où cela permet à la fois de montrer que tout le monde n’est pas soit tout blanc soit tout noir ( même si certainsy tendent quand même)  et à la fois de nous dépeindre cet effrayant Reich millénaire de l’intérieur où tout est contrôlé et où les trahisons et autres coups bas orchestrés par le pouvoir pour arriver à ses fins n’ont pas de limite.

 

 J’ai lu ce livre dans sa version originale en anglais et si certains petits passages, particulièrement descriptifs, ont échappé à ma totale compréhension et que l’anglais n’est pas forcément toujours facile je suis tout de même content d’être arrivé au bout de mon premier long roman adulte cette langue.  La démarche journalistique et détaillée de l’auteur donne une crédibilité à une histoire palpitante où le suspense n’est pas délaissé surtout dans une dernière partie détonnante.

 

Le mot de la fin:

 

Avec Fatherland Harris prouve qu’il est aussi un écrivain de talent capable de nous conter une histoire palpitante tout en posant les bonnes questions à son lecteur en lui montrant un aperçu de ce qu’aurait pu être le monde si l’Histoire avait été différente et si vaincus étaient en fait vainqueurs.

 

Ma note : 17/20

Un récit détaillé pour une trame frémissante un peu lente à décoller certes mais passionnante. Une vraie réussite et déjà un classique de l’uchronie ; à lire absolument pour les amateurs du genre.

 



28/08/2017
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